Points d’histoire familiale Teisserenc
Envoyé à Claude T. le 13.01/.2017
I – Sur Emile Appolis, auteur, entre autres, de :
- Un Pays languedocien au milieu du XVIIIe siècle, le Diocèse Civil de Lodève, Etude administrative et économique, Thèse de Doctorat publiée par l’Imprimerie coopérative du Sud-Ouest, Albi, 1951 ;
- Le Jansénisme dans le Diocèse de Lodève au XVIIIe siècle, Thèse complémentaire, ouvrage publié avec le concours du CNRS par l’Imprimerie coopérative du Sud-Ouest, Albi, 1952.
Mon ancien professeur d’Histoire en classe de philosophie à Montpellier (1960-61 !), aussi ancien professeur à l’Université Paul-Valéry de Montpellier, Henri Michel, que je croise de loin en loin et avec qui j’ai parlé récemment, a publié une synthèse sur la carrière et la production originale d’Emile Appolis, ainsi qu’une bibliographie exhaustive de son oeuvre, peu après sa mort, « In memoriam – Le professeur Émile Appolis (1903-1980) » (in Etudes Héraultaises, 1982-1).
La bibliographie ne mentionne pas l’étude dont tu m’as parlé sur St-Félix-de-l’Héras, ce qui est normal si elle est restée à l’état de manuscrit et donc probablement inachevée ; si tu peux la scanner et me la transmettre j’en suis très volontiers « preneur » et je la transmettrai avec ton aimable autorisation à Henri Michel ; bien évidemment il faudrait pouvoir la dater et dire le lieu où en est conservé le manuscrit.
II – Sur Madières (Commune de Saint-Félix-de-L’Héras) :
1 – Dictionnaire Occitan-Français selon les parlers languedociens, (Institut d’Etudes Occitanes, Toulouse, 2e édition, 1988) de Louis Alibert, lexicographe occitan qui a fait autorité :
« madièr, masculin. Couvercle de pétrin, parler rouergat. (…) Etymologie : latin vulgaire materium, du cl. materia ».
2 – Dictionnaire topographique du Département de l’Hérault, par Eugène Thomas, archiviste départemental, Montpellier, 1865.
Page 101 : « Madières, Commune de Saint-Félix-de-L’Héras – Maderiae, 1181 (Cartulaire d’Aniane 46) » (je ne cite là que ce qui a trait à « notre » Madières »).
3 – Les noms de lieux du Département de l’Hérault. Nouveau dictionnaire Topographique et Etymologique, par Frank R. Hamlin, professeur à l’Université de Colombie Britannique, Canada, avec la collaboration de l’Abbé André Cabrol. Edition Abbé A. Cabrol, Poussan. Diffusion, Centre d’Etudes Occitanes, Université Paul Valéry, Montpellier, 1983. Page 218, dont je ne cite que ce qui est dit de ‘notre’ Madières:
« MADIERES, hameau (Saint- Félix-de-l’Héras) : mansus…de Maderiis, 1240 (Livre Vert Lodève, p. 88) ; Madières, 1774-5 (Cassini). (…) Latin, materia, au sens de « bois de charpente » (suivant Albert Dauzat, Dictionnaire des noms de famille et prénoms de France) ».
Hamlin cite en outre Madières-la-Vis, que nous connaissons bien, et des ruines portant nom de Madière (sans ‘s’), près du château de Restinclières à proximité de Montpellier.
3 – Compoix de Saint-Félix-de-L’Héras (1671).
Vue 5 : page où sont recensés les biens dits « nobles » que possédaient les seigneurs de Pégairoles dans la paroisse de Saint-Félix ; la mention est donnée avant la liste des propriétaires assujettis aux impôts et taxes sur les biens fonciers qu’ils possèdent, car les biens dits nobles sont exemptés d’impôts et taxes comme les tailles et censives. Le compoix étant un document d’assiette fiscale, les biens nobles n’y devraient pas être mentionnés ; s’ils le sont dans ce compoix, mais en dehors de la liste des assujettis, c’est qu’il y a des prétentions divergentes sur le statut des terres du ci-devant seigneur de Pégairoles ; divergences qui apparaissent dans l’intitulé de ce chapitre : « Cayer des biens prethandus nobles treuvés dans le terroir et juridiction de St-Felix de Leras apartenants à Monsr de Pegairoles ». Le premier de ces biens « prethandus nobles » est :
« une metterie consistant en maison, casalz, pattu, ayres, cambiere, champ et herme appelee Madieres confr(ontant)
de terral Luy mesme et Mr Pierre Rouch chemin au milieu
narbones la division des terroirs des Ribes et St Felix passad au milieu,
marin chemin de St Felix aux Ribes
aguial luy mesme
contient la maison 19 cannes et demy, cazal 37 canes, pattu 132 cannes
estimé 300 livres
cambiere 3 poigniers 3 dextres estimé moytié au premier moytié au second
ayre 1 carte 2 poigniers 1 dextre au troisiesme
le champ et herme 9 cesterées 2 cartes, 1 poignier 2 dextre estimé 1 cesterée au quatriesme
Reste moytié au premier, moytié au second degred ».
(AD 34, 253 EDT 1)
III – Sur Raunier, dont le nom est présent dans les états paroissiaux de St-Félix-de-l’Héras et des Rives entre le XVIIe et le XXe siècle.
Je ne fais pas de théorie, ni d’interprétation ; j’observe et je constate. Les scripteurs écrivent tous les noms, y compris ceux patronymiques, comme ils les entendent (donc phonétiquement) ou les interprètent (donc avec de nombreuses variantes), surtout dans notre région où ceux qui savaient écrire hésitaient souvent entre les phonétiques ‘française’ et ‘occitane’, voire les mélangeaient. Aussi en règle générale, la forme à retenir est-elle celle des signatures (quand elles existent) des porteurs des patronymes. Dans le cas des Raunier qui nous intéressent, tous les hommes signent sans aucune exception « Raunier ». Donc je me soumets à ce qui leur est propre, à leur identité !
Un détail : des Raunier de Lodève étaient maîtres tisserands au XVIIIe siècle, et une ouvrière des Etablissements T.-H. dans les années 1930, portait ce patronyme…
Ce patronyme est présent dans la vallée de la Sorgue et dans le Sud-Larzac, principalement dans nos deux villages, ainsi qu’à Lodève et dans plusieurs villages de la région bas-languedocienne. Je ne peux en dire plus, n’ayant pas approfondi la question.
IV – Sur « Testor/Teisserenc », comme tu l’écris, mais, plus justement, sur « Textoris/Teisserenc ».
Je ne conteste rien, mais je constate :
1 – qu’il est parfaitement fondé de traduire du français en latin ‘Teisserenc’ par ‘Textoris’. Nous savons en effet depuis les travaux d’Oscar Bloch (auteur, en collaboration avec le suisse Walter von Wartburg, du Dictionnaire étymologique de la langue française, préfacé par A. Meillet, paru en 1932, et plusieurs fois réédité) que le radical de ‘Teisserenc’ dérive du verbe ‘tistre’, dont subsiste la forme du participe passé ‘tissu’, et que le suffixe -enc exprime un lien d’appartenance à un groupe humain : ville, métier…, en l’occurrence les activités ayant trait au métier de ‘tisserand’. Il correspond donc au cas génitif des déclinaisons latines. En latin le tisserand est ‘textor’, qui donne ‘textoris’ au cas génitif;
2 – qu’à l’inverse l’on ne peut pas dire sans faire état de doute, que tous les patronymes ‘Textoris’ que l’on trouve dans des textes latins puissent automatiquement être traduits en français par ‘Teisserenc’ ; ‘Tisserand’ s’imposerait en premier, ou ‘tisseur’, ou ‘tissier’, ou ‘teissier’, ou ‘tellier’. Pour preuve, le fait que sont très nombreux à travers les siècles et un peu partout en France, et encore de nos jours (sur Google, ‘textoris’ donne 238 000 résultats !), y compris à Lodève, les tenants du patronyme ‘Textoris’. C’est la raison pour laquelle Y. Chassin du Guerny (que feu mon beau-frère Philippe Donnadille avait bien connu et fort apprécié en Algérie !), sorti de l’Ecole des Chartes dont ces questions sont l’objet central d’étude, s’est refusé à trancher la question de l’appartenance de tous les ‘Textoris’ de Lodève entre le XIVe et le XVIe siècle à la famille mono-patronymique des ‘Teisserenc’, même s’il laisse entrevoir que ce ne soit pas impossible ! D’ailleurs toi-même, dans le bref résumé de nos origines familiales en tête du site que tu as créé, tu emploies à juste titre le conditionnel…
(Je profite de cette allusion au Site Teisserenc-Fourcade pour rappeler que le premier à avoir entrepris des travaux systématiques de généalogie fut notre oncle Maurice Teisserenc et que ton frère Marc a repris ses travaux en les complétant et les prolongeant sous la forme que nous connaissons et qui ont servi de base à tes mises à jour. Il serait d’ailleurs intéressant de savoir si leurs notes originales ont été conservées et, dans l’affirmative, où elles se trouvent aujourd’hui).
Tout au plus pourrait-on pencher en faveur des interprétations non argumentées d’Albin Hébrard pour des raisons de proximité locale et d’homogénéité sociale de ces porteurs patronymiques, mais sans preuve aucune.
J’ai demandé à Julien Duveaux, attaché de conservation aux Archives Départementales de l’Hérault, qui était notre hôte à déjeuner avant-hier, et qui connait bien les archives communales et notariales de Lodève – lesquelles ont fait l’objet d’un dépôt aux Archives Départementales – de faire un point sur cette question par un petit écrit.
Je vais aussi soumettre le petit ouvrage d’A. Hébrard à Jean Hilaire, grand spécialiste de l’histoire du notariat, ancien professeur à la faculté de droit de Montpellier, et toujours très actif dans l’édition d’études juridiques, que plusieurs notaires et avocats de mes amis reconnaissent comme un grand maître de cette discipline. Le connaissant bien j’espère obtenir de lui une brève analyse critique du travail d’Hébrard à la lumière des avancées de l’étude de l’histoire du droit depuis 1900.
Nous aurons ainsi deux nouveaux avis autorisés, fondés sur des recherches plus actuelles en attendant que, dans ‘x’ années, nous en ayons d’autres qui tiennent compte de l’évolution future des connaissances et des méthodes. Ainsi va l’Histoire !
Sur les historiens de Lodève. Petit exercice d’analyse critique…
1 – Paris, H.-G., Histoire de la Ville de Lodève, de son ancien diocèse et de son arrondissement actuel, 3 volumes, Montpellier, Boehm, 1851. Pour la partie ancienne de l’histoire de Lodève, l’auteur n’a pas consulté d’archives originales, s’étant contenté de traduire, parfois très infidèlement, un ouvrage en latin de Mgr Plantavit de la Pause, écrit en 1634. L. Guiraud, continuateur de l’œuvre d’Ernest Martin après la mort prématurée de celui-ci qui n’en connut pas la publication, fait, dans une préface remarquable de concision et de précision, une critique serrée de l’ouvrage de H.-G. Paris. L’on ne peut se fier à cet ouvrage qu’avec d’infinies précautions en recoupant tout ce qui y est exposé avec d’autres sources ; il est donc d’une utilité dérisoire.
2 – Martin, Ernest, Histoire de la ville de Lodève depuis ses origines jusqu’à la Révolution, 2 volumes suivis d’un troisième sur le Cartulaire de la Ville de Lodève, parus en 1900, après la mort de leur auteur ; Ernest Martin, ancien officier de marine, ne fit pas d’études d’histoire, mais sut, par la fréquentation d’historiens, se former à la pratique des méthodes historiques ; il fit un travail complet de consultation de toutes les archives publiques et privées alors connues sur le sujet. Aussi son Histoire de la Ville de Lodève reste-t-elle un ouvrage de référence pour qui veut commencer des travaux sur l’histoire de Lodève et de son rayon d’influence jusques vers la fin du XIXe siècle. Elle fut achevée, après sa mort, sous la direction de L. Guiraud, à partir des notes qu’il avait prises, dans le respect de sa méthode. Depuis la confection de cet ouvrage, de nouvelles archives ont été mises à la disposition des chercheurs.
Lucien Albaret a simplement repris les travaux d’Ernest Martin pour ce qui est des relations entre Soubès et Lodève.
3 – Hébrard, Albin. Le notariat à Lodève depuis son origine jusqu’à nos jours, Lodève, Impr. de Jullian et fils, 1901, 172 p.
L’auteur était notaire à Lodève où son étude détenait des archives anciennes d’une grande importance. Il étudie brièvement la formation du notariat moderne à partir des plus anciennes pratiques contractuelles enregistrées, qui, à Lodève, remonte à la fin du Xe siècle ; il le fait en se rapportant très brièvement à ce qui pouvait se faire ailleurs : ainsi, par exemple, du rôle respectif des tabellions et des notaires. Il analyse l’évolution du statut des notaires (publics ou épiscopaux, royaux), leur domaine de compétence territoriale, leurs nominations et leur investiture, l’évolution de la forme des actes. Il aborde aussi la « sociologie » des notaires de Lodève : leur notabilité dans la société urbaine, impliquant compétence technique, autorité morale, inspiration religieuse rappelée au début des registres. Enfin un chapitre traite de la « comptabilité » du notariat : honoraires, taxes d’Etat.
Dans ce que nous analysons comme une deuxième partie de l’ouvrage, plus de la moitié, l’auteur commence par procéder à une recension des notaires de Lodève, et à leur répartition et leur succession dans les études. Un petit chapitre intéressant est consacré aux « signes notariaux et signatures des notaires » ; il est bien regrettable que l’auteur n’ait pas donné à comprendre ces « signes » et « signatures » par une analyse explicative de leur forme comme de la symbolique sous-jacente aux « signes » (à la seule exception de ceux des notaires épiscopaux). Cela crée une ambigüité qui est des plus manifestes à la page 103 dans une « comparaison des signes notariaux avec les signatures », pour deux notaires désignés respectivement « Guillaume Textoris ou Teisserenc 1408 » et « Jean Textoris ou Teisserenc dit En Jaolh 1425 ». Pourquoi là où nous lisons « G. Teysseyre », l’auteur donne-t-il à lire « Guillaume Textoris ou Teisserenc », et comment la lecture que nous faisons de « Jn Textor » devient-elle « Jean Textoris ou Teisserenc dit En Jaolh »? L’auteur donne là sans le dire une interprétation qui, en la forme, parait douteuse ; or, il avait, supposons-nous, ses raisons, mais, comme il n’expose, ni n’argumente aucune hypothèse, voilà un matériau inexploitable alors qu’il est a priori intéressant ! Cela est d’autant plus regrettable que le regard d’un notaire, spécialiste du droit appliqué à des situations concrètes de formes multiples, peut être très utile à l’élaboration de la connaissance historique.
Nous relevons une erreur de transcription de la signature de Jean Textoris en 1425 ; là où l’auteur transcrit ’Jn’, nous lisons ‘Joh’, peut-être suivi d’un signe abréviatif (abréviation de ‘Johanes’) sur l’original de l’acte. De plus dans les entrelacs qui terminent la signature, sont disposés des points que ne reproduit pas A. Hébrard. Oubli ? Source différente, mais nous n’en trouvons pas d’autre ? Pas plus que nous ne trouvons le ‘signe’ de ce notaire, ni le ‘signe’, ni la ‘signature’ de ‘Guilhem Textoris’, Pourquoi ? Enfin, là où l’auteur lit ‘Guillaume’, nous lisons ‘Guilhem’ en abrégé ; je conviens que cela ne change pas le sens, mais traduit une approximation de lecture.
Questions qui résultent de ces observations : y a-t-il des registres non numérisés, ou en cours de restauration ? Et si oui, contiennent-ils les signes et signatures manquantes ? Entre la fin des années 1890, pendant lesquelles A. Hébrard a rédigé sa brochure, et le moment où les archives de l’étude Hébrard ont été déposées aux Archives Départementales (de mémoire vers 1926), des registres auraient-ils été perdus, ou le don ne fut-il que partiel ?
Selon l’usage de l’époque de parution de l’ouvrage, 12 pièces justificatives sont données en annexes. Il est regrettable que leurs références n’aient pas toujours été citées, ou de façon incomplète, comme c’était alors souvent le cas.
Malgré tous ses défauts la brochure d’A. Hébrard a le mérite d’exister et de donner des éléments utiles pour commencer toute étude sur l’histoire de Lodève, et ce, bien que la recension des notaires de Lodève ait, depuis, fait l’objet de nouvelles études pour leur enregistrement informatique et la numérisation des actes.